Une partie importante de mon activité de recherche est centrée sur la phénoménologie de l'état mixte, les transitions de phases et la détermination des paramètres fondamentaux dans les nouveaux supraconducteurs. Par ailleurs , nous avons récemment débuté différentes études visant à déterminer la topologie de la surface de Fermi dans des systèmes "exotiques" (comme le graphite en limite quantique, les isolant Kondo,...). Enfin, en 2023 nous avons diversifié notre activité en ouvrant un nouvelle thématique consacrée à l'étude d'un des effets le plus fascinant de la physique du solide : la fractionalisation spin/charge dans les liquides de spins quantiques. Des versions pdf de mon rapport d'activité sont disponibles en anglais (2014) ou en français (2018).
La supraconductivité est peut-être un des états les plus fascinants de la matière. Néanmoins, après un demi-siècle de travaux intensifs, l'aventure semblait avoir touché à sa fin lorsque Bardeen, Cooper et Schrieffer donnèrent une description microscopique au mécanisme de couplage entre électrons. La température critique (Tc) semblait alors être à jamais "bloquée" en dessous de 30K... La découverte, en 1986, d'une "nouvelle" supraconductivité dont la Tc a rapidement atteint 140K fut donc à l'origine d'un formidable regain d'intérêt pour ces composés. Si la compréhension du mécanisme à l'origine de ces Tc élevées reste toujours un enjeu majeur en physique du solide, leur état mixte a également ouvert de nouvelles voies dans l'étude des transitions de phases dans les systèmes élastiques désordonnés. .
Le formidable regain d'intérêt pour la supraconductivité qui suivi la découverte des cuprates permit également de découvrir de nouveaux systèmes aux propriétés étonnantes. MgB2 tout d'abord (découvert en 2001) dans lequel deux bandes supraconductrices coexistent (et Tc ∼ 40K !) puis les supraconducteurs covalents obtenus par dopage de composés isolants (voir par exemple notre article dans reflets de la physique (CNRS, 2013) ou Nature Materials, 8, 275 (2009)). Archetype des isolants, le diamant (dopé au Bore) constituent également une plateforme particulièrement intéressante pour l'étude de la transition isolant-supraconducteur.
L'étude de l'apparition d'une phase supraconductivité au voisinage d'une autre instabilité (magnétique ou électronique) est aujourd'hui un sujet clé dans l'étude de la supraconductivité. Les supraconducteurs à base de fer (dont la Tc dépasse 55K pour certains d'entre eux) ont ainsi fait l'objet de très nombreux travaux depuis leur découverte au printemps 2008 de part la présence simultanée de propriétés supraconductrices et magnétiques, en principe antagonistes. On peut également citer les dichalcogénures pour lesquels la supraconductivité entre, pour certains d'entre eux, en compétition avec la formation d'une onde de densité de charges mais les cuprates restent l'archetype des ces composés avec notamment la toujours enigmatique phase dite pseudo-gap qui souligne l'incroyable compléxité de leur diagramme de phases.
Ce travail est le fruit d'une étroite collaboration avec Christophe Marcenat du CEA-Grenoble (depuis 2000) et Jacques Marcus de L'Institut Néel/CNRS-Grenoble (1995/2007) mais je tiens ici à remercier l'ensemble des mes collègues du "groupe supra" de l'Institut Néel : H.Cercellier, F.Levy-Bertrand, P.Rodière, K.Hasselbach, M-A.Méasson, M.d'Astuto.
Ainsi que :
X.Blase, E.Bustarret, J.Pernot, B.Sacépé, Institut Néel-CNRS, Grenoble
A.DeMuer, D.Leboeuf, M-H.Julien [et collaborateurs], LNCMI, Grenoble
P.Toulemonde, A.Sulpice, Institut Néel-CNRS, Grenoble
P.Samuely, P.Szabo, J.Kacmarcik, Z.Pribulova, Slovak Academy of Sciences, Kosice
C.J. van der Beck, Ecole Polytechnique, Palaiseau
S.Ono, CRIEPI, Tokyo
M.Jaime, Los Alamos, USA
U.Welp, A.Rydh, W.K.Kwok, Argonne, USA
T.Giamarchi, Université de Genève et P.Le Doussal, ENS-Paris
S.I.Lee [et collaborateurs], University of Pohang, République de Corée
R.Cubitt, Institut Laue Langevin, Grenoble
L.Paulius, University of Kalamazoo, USA
P.C.Canfield [et collaborateurs], Iowa state University, Ames, USA
L.Taillefer [et collaborateurs], Université de Sherbrooke, Canada
F.Hardy, C.Meingast, M.LeTacon , Université de Karlsruhe, Allemagne
B.Fauqué , ESPCI, Paris
P.Mendels, Q.Barthelemy , Université de Paris-Saclay
Y.Kohama [et collaborateurs], Université de Tokyo, Japon
Stagiaires : F.Gustafsson (ERASMUS), R.Piquerel (M1), R.Marlaud (M2-Agrégation), L.Lemberger (M2), A.Chavant (PHELMA), K.Beauvois (M1), K.Olson (M2), M.Schuchard (M1)
Doctorants : L.Baril, W.Harneit, I.Joumard, S.Blanchard, L.Lyard, A.Grockowiak, J.Bousquet, H.Grasland, J.Seidemann, Z.Medvecka, B.Michon, O.Dupré, C.Girod, L.Doussoulin, F.Condaminas, J.Sarrade, M.Schuchard
Stagiaires Post-doctoraux : A.Conde-Gallardo, Z.Pribulova
J’ai été invité à travailler dans le groupe du professeur Marcello Jaime du laboratoire des champs magnétiques intenses de Los Alamos (USA) durant le mois d’Avril 2011 (mise en place de la mesure de chaleur spécifique en champs et mesures de magnéto - transport en champs pulsés en collaboration avec le groupe du professeur Wai Kwok du Argonne National Laboratory). J’ai également été invité à plusieurs reprises par le professeur Peter Samuely de l’institut de physique expérimentale de Kosice (Slovaquie) pour assister son groupe dans le développement d’un banc de mesure d’aimantation locale par sondes de Hall. En Avril 2020, j'ai été invité par l'Université de Sherbrooke à effectuer un séjour au sein du groupe du Professeur Louis Taillefer (étude de la criticalité quantique dans les supraconducteurs à haute température critique, séjour finalement reporté à Octobre 2022). Par ailleurs, j’ai été amené à présenter un exposé historique sur l’ensemble des activités scientifiques du département lors de la célébration de son 50eme anniversaire (2013) et j’ai été invité par la section Strasbourgeoise de la Société Française de Physique a donné un séminaire de culture générale sur l’histoire de la supraconductivité en 2017.
L'état mixte des supraconducteur est une plateforme idéale pour étudier l'influence du désordre sur la structures des systèmes élastiques. Une analyse détaillée des mesures de diffraction de neutrons nous a alors permis d'amener la première preuve expérimentale de l'existence d'un nouvel état de la matière ni totalement ordonnée ni complètement désordonnée : le verre de Bragg (voir Nature 413, 404 (2001)). De plus, en augmentant la température (notamment dans les oxydes à haute Tc), il est possible de faire fondre le solide de vortex. Il est alors très difficile de différencier ce liquide d'une phase normale soumises à des fluctuations ; la défnition du champ critique supérieur devient donc délicate et la détermination expérimentale de ce champ (s'il existe encore) quasiment impossible. Dans ce contexte, le système (K, Ba)BiO3, s'est avéré être un composé particulièrement intéressant puisque les fluctuations y sont trop faibles pour faire fondre le solide de vortex (Tc ~ 32K) mais néanmoins assez fortes pour modifier la transition entre la phase supraconductrice et l'état normal.
En couplant nos mesures magnétiques locales avec des mesures de microcalorimétrie, nous avons pu montrer que la ligne Hc2 est très largement décalée vers des températures plus basses sous l'effet de fluctuations. Cette transition est alors très sensible à la présence de défauts colonnaires qui piègent les vortex (Physical Review Letters 88, 177201 (2002) ; ibid 90, 037004 (2003) ; ibid 92, 037005 (2004)). Par ailleurs un comportement étonnant avait été mis en évidence dans les cuprates : l'existence d'un effet Nernst particulièment important sur une large gamme de champs et températures au dessus de Tc. Nous avons observé un comportement très semblable dans (K,Ba)BiO3 montrant ainsi l'importance des fluctuations d'amplitude du paramètre d'ordre dans l'apparition de cet effet Nernst "anormal" (Physical Review B, 83, 094524 (2011)).
Un diagramme H-T étonnant a récemment été mis en évidence dans UTe2, faisant apparaître une surprenante "ré-entrance" de la phase supraconductivité qui se renforce à haut champ magnétique (jusqu'à l'apparition d'une phase meta-magnétique vers 34-35T). Nous nous intéressons actuellement à l'évolution sous champ de cette transition métal-supraconducteur (en collaboration avec le groupe de J.P.Brikson (CEA-Grenoble)). Résultats à suivre...
La découverte en 2001 d'une température critique anormalement élevée (~ 39 K) dans un supraconducteur "conventionnel" a une fois de plus, relancé l'intérêt pour l'étude de la supraconductivité. Néanmoins il est rapidement apparu que la particularité la plus intéressante de MgB2 n'était pas sa température critique anormalement élevée mais le fait que deux bandes distinctes (liées aux orbitales σ et π du bore) pouvaient donner lieu à de la supraconductivité. Nous avons été un des premiers groupes a montré que ces deux bandes donnaient naissance à deux gaps supraconducteurs distincts coexistants dans le matériau (Phys. Rev. Lett., 87, 137005 (2001)).
Une grande partie de mon activité de recherche a alors été consacrée à l'étude de l'influence de l'existence de ces deux gaps sur l'état mixte de ce système. Nous avons déterminé le champ critique supérieur et mis en évidence une dépendance en température de son anisotropie (PRB, 66, 180205(R) (2002)) et montré, qu'à bas champ, la pénétration des vortex était contrôlée par la présence de barrières géométriques mettant ainsi fin à la controverse sur la valeur du champ critique inférieur. (PRB, 70, 180504(R) (2004)). Ce composé nous a également permis de faire une étude de la transition ordre-désordre qui peut être induite dans le solide de vortex sous champ magnétique. Nous avons montré que cette transition est du 1er ordre et que le champ mqagnétique correspondant peut être progressivement abaissé en irradiant l'échantillon par des électrons (PRL 105, 047001 (2010)).
Enfin nous avons également pu déterminer l'évolution des deux bandes saus champ (Phys. Rev. Lett., 98, 137001 (2007), voir aussi notre notre "fait marquant" de l'Institut Néel (#1, 2007)) à partir d'une étude détaillée de la dépendance en champ du coefficient de Sommerfeld. Finalement nous avons effectué une étude systématique de l'évolution des propriétés de ce composé en substituant partiellement le magnésium par de l'aluminium (PRB 73, 224528 (2006)).
L'origine de la supraconductivité dans MgB2 est liée à l'excellent couplage entre les liaisons σ du bore et les phonons. Dans ce système, ces liaisons de valence sont partiellement vidées par la présence des ions Mg2+ mais, ce "dopage" peut également être réalisé dans d'autres systèmes covalents. Il a ainsi été montré en 2004 que le diamant devient supraconducteur lorsqu'il est très fortement dopé au bore. Bénéficiant de l'expérience du laboratoire dans la synthèse de couches de diamant nous avons alors déterminé avec précision l'évolution des propriétés électroniques en fonction du taux de dopage (Physical Review Letters 93, 237005 (2004)). Nous avons notamment mis en évidence l'influence des lois d'échelle de la transition métal-isolant sur la température critique (Physical Review B, 75, 165313 (2007) et Physical Review B, 95, 161301 (2017)).
Nous nous sommes également intéressés aux propriétés supraconductrices du silicium (également fortement dopé au Bore). En particulier, nous avons mise en évidence un effet étonnant de l'épaisseur (d) sur l'apparaition de la supraconductivité (voir figure ci-dessus). En effet, celle-ci n'apparait qu'au delà d'une concentration critique proportionnelle à 1/d (pour plus de renseignements voir : Physical Review B, 88, 064508 (2013)). Enfin, j'ai également participé à une étude des propriétés supraconductrices de l'alumlinium granulaire et notamment de l'apparition d'absorptions "anormales" de la lumière pour des énergies inférieures au gap supraconducteur (sous la direction de Florence Levy-Bertrand, voir Nature Communications, 9, 3889 (2018)).
La découverte au printemps 2008 d'une nouvelle famille de supraconducteurs à base de fer dont la température critique peut atteindre 55K (dans SmFeAs(O,F)) a suscité un très vif intérêt au sein de la communauté. Il semble aujourd'hui probable que les fluctuations de spins conduisent à un changement de signe du paramètre d'ordre entre les différents feuillets constituant la surface de Fermi mais la détermination exacte du mécanisme de couplage s'appuie notamment sur la détermination du diagramme de phases.
Nous avons notamment conduit une analyse détaillée de l'évolution de la longueur de pénétration et de la longueur de cohérence en fonction de la température critique dans Ba(Fe,Ni)2As2 afin d'étudier les effets de "brisures de paires" qui pourraient être importants dans ces composés (voir Physical Review B 85, 214506 (2013)). Nous avons également déterminé le diagramme de phases du composé Fe(Se,Te) (Physical Review B, 82, 184506 (2010)) qui montre que les corrélations électroniques jouent un rôle important dans ce système. Ces corrélations conduisent à une très faible valeur de la vitesse de Fermi et donc de la longueur de cohérence conduisant à des champs critiques orbitaux pouvant atteindre plusieurs centaines de Teslas et la quasi totalité du diagramme H-T est alors limités par les effets paramagnétiques (limite de Pauli, Physical Review B, 82, 184506 (2010)).
Le composé le plus simple, FeSe, est également le plus énigmatique. Sa densité électronique est extrêmement faible faisant de lui un supraconducteur à "très haute" température critique (bien que sa Tc ne soit que de l'ordre de 9K) à la frontière d'une condensation de Bose Einstein. Ce composé présente également un caractère nématique important mettant en évidence des effets orbitaux extrêmement forts dans la symétrie du gap (Physical Review B 100, 104516 (2019)). Nous avons également montré, qu'à basses températures, le fluage des vortex est d'origine quantique dans Fe(Se,Te) (voir Physical Review B, 89, 014514 (2014) et notre "fait marquant" de l'Institut Néel (#8, 2014)). Enfin, nous avons effectué une étude détaillée du diagramme H-T de FeSe en collaboration avec l'Université de Karlsruhe (voir Physical Review Research 2, 033319 (2020) et Physical Review B, 107, 224506 (2023)) et put faire une analyse détaillée de la symétrie des gaps en étudiant la dépendance angulaire de la chaleur spécifique. En effet, l'effet Doppler associé aux supercourants entourant les coeurs des vortex (en présence d'un champ magnétique dans le plan ab) est un outil particulièrement pertinent pour cette étude mais requiert une technique expérimentale de très haute résolution.
La compétiton entre supraconductivité et ordre de charge est également un sujet d'étude très actif (pour plus de renseignements sur les dichalcogénures, voir par exemple : Physical Review B, 82, 014518 (2010) et Physical Review B, 84, 054531 (2011)). La découverte d'une reconstruction majeure de la surface de Fermi dans YBaCuO sous dopé a relancé l'intérêt de la communauté sur ces composés. La richesse des propriétés de ces composés semble être inéluctablement liée à la complexité de leur diagramme de phases et nous avons débuté une étude détaillée de l'influence du champ magnétique sur ce diagramme sur ce diagramme par chaleur spécifique et aimantation locale.
Nous avons ainsi pu mettre en évidence une anomalie de chaleur spécifique très nette (voir Nature Communications 6, 7927 (2015)) et notre "fait marquant" de l'Institut Néel(#10, 2016)) et des mesures complémenaires (complétées par des mesures de RMN) nous ont alors permis de montrer que cette ligne résulte de l'interaction entre la supraconductivité et l'ordre de charge et suggère que ces deux états finissent par trouver une forme de "coopération" à basse température, en accord avec les théories récentes sur l'évetuelle existence d'un nouveau type de supraconductivité dit de "Pair Density Wave" (voir Physical Review Letters 121, 167002 (2018)).
Comprendre l'origine de la supraconductivité dans ces systèmes non conventionnels reste un des enjeux majeurs de la physique du solide moderne. Cette comprehension passe par une meilleure compréhension de la phase "normale" qui lui donne naissance et très probablement de la - toujours très enigmatique - phase dite "pseudo-gap". Nous avons fait une étude détaillée de l'évolution du coefficient Sommerfeld dans différents cuprates en collaboration avec le groupe du professeur Taillerfer (Université de Sherbrooke, Canada). Cette étude a mis en évidence l'existence d'un point critique quantique à l'entrée de la phase pseudogap, dont les fluctuations pourraient jouer un rôle fondamental dans le mécanisme de couplage (voir nos publications dans Nature 567, 218 (2019) et Physical Review B 103, 214506 (2021), ainsi que notre "fait marquant" de l'Institut Néel (#13, 2019)).
La compréhension des propriétés remarquables des solides passent généralement par l'étude de leur structure électronique et notamment de la topologie de leur surface de Fermi. Les oscillations quantiques constituent alors un outil particulièrement intéressant pour en déterminer la taille ou la masse effective. L'outil que nous avons développé nous permet désormais d'étudier ces oscillations par le biais d'une sonde thermodynamique : la chaleur spécifique.
Nous avons débuté plusieurs études visant à déterminer la topologie de la surface de Fermi dans différents solides non conventionnels (semi métaux de Weyl, métaux dilués,...). Le graphite est notamment un composé particulièrement intéressant car tous les électrons peuvent être confinés dans le premier niveau de Landau pour un champ supérieur à 8T (limite ultra quantique). Seule la direction parallèle au champ magnétique reste libre et des transitions électroniques peuvent être induites par le champ magnétique dans ce composé "1D". La très faible énergie de condensation (due fait de la très faible densité d'états) donne alors lieu à un régime de fluctuations critiques particulièrement intéressant (Physical Review Letters, 126, 106801 (2021)).
Enfin, par le biais de différentes collaborations nous avons entamé des études de l'évolution de la chaleur spécifique sous champs magnétiques intenses dans différents composés "exotiques" comme l'isolant Kondo YbB12 dont les propriétés étonnantes pourraient être liées à des effets de fractionalisation conduisant à l'existence de Fermions sans charge ou RuCl3 considéré comme un candidat possible de liquide de spins quantique de type "Kitaev" au sein duquel les spins pourraient eux se fractionaliser en... Fermions de Majorana, mais le débat reste ouvert...